N°41 - novembre 2005

L’équipe de rédaction : C.Auzépy christian.auzepy@wanadoo.fr
Site anfas : http://anfas.free.fr

Le mot du Président

     Le FTHAH n° 9 au salon aéronautique du Bourget, le FTHBR, n°45 en exposition statique à la Cité des Sciences à la Villette, notre MIRAGE IV reste à la disposition de ceux qui veulent le rencontrer. Pour le moment, cette rencontre est uniquement possible dans la région parisienne mais, peut-être, bientôt, également à Nantes, à Montélimar et en Angleterre.
     Maintenant c’est à nous, nous les femmes et les hommes qui, à tous niveaux, avons approché le IV, de rendre compte de l’histoire de la première force aérienne stratégique nucléaire. Je sais que certains ont déjà commencé en projetant la cassette « Les ailes de la Paix » ou en faisant des conférences en s’appuyant sur les bouquins de Paringaux et de Beaumont. Si vous parlez de l’avion, de cela je ne doute pas, n’oubliez pas de raconter aussi ce qu’étaient les hommes et les femmes des FAS.
     Dites-leur que lorsque les équipages de combat apprenaient chaque détail du parcours de leur mission de guerre, ils ne doutaient pas de leurs capacités opérationnelles à réussir la mission. Dites-leur que les mécanos connaissaient parfaitement les qualités et les défauts des avions qu’ils avaient en compte et qu’eux aussi avaient l’assurance de la réussite du vol. Dites-leur que les équipages des C 135 ravitailleurs étaient avec eux en zone d’alerte et leur avion pas très loin sur le parking, prêt au décollage.
     Dites-leur que l’ équipage du MIRAGE IV, le couple pilote-navigateur, était très soudé, qu’il était complémentaire et qu’il était conscient de la force destructrice que leur donnait le couple avion-30 tonnes et arme-60 kilotonnes. Dites-leur que ces deux hommes volaient, en vol solitaire, vers la zone de combat à plus de 900 km/h et à moins de 100 m/sol, quelques soient les conditions météo, de jour ou de nuit. Dites-leur que ces 2 hommes ne chevauchaient pas leur avion sans se poser des questions humaines. Ils avaient une mission à remplir et ils étaient assurés d’être, avec d’autres, un rempart dans la défense de leur pays et dans le choix d’une démocratie libre.
 

     N’oubliez pas de le dire. Notre avion, le MIRAGE IV, vous en saura gré. Pensez à cela lorsque vous vous rendrez au Bourget ou à La Villette avec vos amis.
Jacques Pensec

     Parmi les anciens, que nous sommes désormais, certains ont eu une carrière aéronautique pleine de tiroirs bien remplis. C’est à l’un d’entre eux que la rédaction a demandé d’enquêter sur une possible similitude entre le MIRAGE IV et le CONCORDE.
Pilote de combat sur avion de chasse et de bombardement, instructeur simulateur à l’Aérospatiale, Maurice LARRAYADIEU avait le profil pour cette enquête. La rédaction le remercie très chaleureusement.
 

 MIRAGE IV - CONCORDE, une filiation ??


     Il a toujours été tentant de voir une possible filiation entre notre extraordinaire bombardier et le merveilleux avion civil supersonique, un avion servant de modèle à l’autre. A l’analyse, il y a sans aucun doute de troublantes similitudes, mais qu’en est il vraiment ?
Les principales similitudes techniques portaient sur :
- l’architecture du circuit carburant. Sur les deux avions, il était possible de modifier en vol le centrage de l’avion en déplaçant ou en consommant d’une certaine manière le combustible en fonction de la performance recherchée. La traînée des élevons était ainsi minimisée.
- L’architecture des commandes de vol. Des préservos entraînaient une timonerie mécanique capable de commander les servocommandes de puissance. Ces derniers actionnaient des élevons séparés et la direction. Ces servocommandes de puissance comportaient sur les 2 avions des tiroirs électriques capables d’accueillir les signaux des aides au pilotage, indépendamment de la timonerie mécanique.
     Une autre filiation était plus visible : les équipages du Concorde ont commencé leur entraînement à l’aile delta sur le MIRAGE IV N° 04 du CEV , mis à la disposition des équipes du TSS Concorde pour une période significative. Ce Mirage IV N° 04 était le 1er avion à posséder la configuration propre à


l’armée de l’air, comportant en particulier un SNB complet, ainsi que des réacteurs Atar 9 K5. Le MIRAGE IV N° 03 participa également au programme des missions CONCORDE mais aux mains de pilotes militaires du CEV exclusivement.
     Dans les personnels touchant de prés ou de loin au programme, on trouvait :
- l’Ingénieur Général de l’Armement FORESTIER, ingénieur de marque pour le STTA, au titre du MIRAGE IV et du Concorde.
- André CAVIN, Ingénieur Navigant d’essais, ingénieur de marque MIRAGE IV et du Concorde, au titre du CEV.
- Gilbert DEFER, Pilote d’Essais CEV, qui glissera naturellement vers l’AEROSPATIALE, dans l’équipe TSS Concorde, avec André TURCAT et Jean FRANCHI.
- Le colonel VILLETORTE, pilote de marque du MIRAGE IV au titre du BPM et , exceptionnellement, du CEAM.
- Le commandant BARBE, ingénieur, navigateur de marque BPM / CEAM.
- Monsieur DUDAL, Cdt de bord d’AIR France, qui, après avoir suivi à l’ EPNER le stage de Pilote d’Essais, a été détaché à l’équipe Concorde du CEV.
- Monsieur CANEILL, Ingénieur Navigant d’essais à l’AEROSPATIALE
     Sur ce N° 04, les missions imparties aux équipages du CEV et des constructeurs du CONCORDE se limitaient à :
- la familiarisation des pilotes participants (civils ou militaires) aux particularités du pilotage d’un « grand » delta en vol supersonique prolongé ( 35 minutes à Mach 1.9 ), l’effet des variations de centrage par transfert de carburant et les spécificités des performances et contraintes diverses.
- l’étude du profil de vol, sur le plan de la navigation, avec l’insertion des trajectoires dans le contrôle du trafic civil. L’intégration en supersonique dans la TMA de Paris engendra beaucoup de …vacarme, et cette étude ne connut qu’une durée éphémère.
- l’étude de l’implantation des capteurs anémométriques nécessaires au Concorde. A cet effet, une perche anémobarométrique a été installée en lieu et place de la perche de ravitaillement. En outre, les méthodes d’étalonnages à grand Mach et grande altitude ont été expérimentées au Centre d’Essais des Landes.
- les essais d’éléments de commandes de vol destinées au Concorde, potentiomètres de gouvernes par exemple. (cette mission fut d’ailleurs limitée dans le temps lorsque l’état-major Marcel Dassault découvrit que des capteurs anglais Boulton Paul volaient sur le Mirage IV …sacrilège !!!).
 

 - la participation d’essais sur le bang sonique et les problèmes de focalisation.
- le maintien en condition des équipages d’essais et des futurs pilotes supersoniques .
     Le Mirage IV 04 a également été utilisé par le CEV pour valider certaines nouveautés des règlements de certification applicables au Concorde. C’était notamment le cas pour tout ce qui concerne les marges de vitesses associées au décollage, que le vol en forte instabilité de propulsion (dit second régime) rendait très différent des avions subsoniques classiques. Le Mirage IV 04 fut utilisé à Istres pour les recherches liées à la certification des vitesses de décollage, en particulier de :
- La VMU (Vitesse Minimum « Unstick » ou Vitesse Minimale d’envol) dont la détermination nécessita la mise en place de « sabots de queue » sur les prototypes du Concorde.
- La VZRC ( zero rate of climb speed ) ou vitesse minimale stabilisée qui, après le décollage, donne une pente nulle, malgré l’application de la poussée maximale des moteurs disponibles. Sur un quadrimoteur, on parlera ainsi de VZRC 4, 3 ou 2 moteurs .
Mon ami Gilbert DEFER a une jolie formule pour décrire cette inquiétante position d’équilibre instable : « à VZRC, tu pousses un peu sur le manche et si tu gagnes un nœud en restant en palier, le prochain rendez-vous est à … VMO. Si tu tires un peu sur le manche et que tu perds un nœud, tu les perdras TOUS (…sous entendu jusqu’au tapis), si tu ne peux pas descendre »
Cette recherche est fondamentale pour définir et certifier une vitesse V2 sûre .
     On vit alors le spectacle curieux du Mirage IV effectuant des décollages à puissance réduite ( 7.500 t/m, juste au dessus des vannes de décharge ! ) : grincements chez M.Dassault qui n’avait pas ouvert ce genre de domaine de vol …. Bien sûr, l’avion fut équipé d’un vario à énergie totale, afin de contrôler l’accélération et d’anticiper sur les possibles dérives de la manip. D’ailleurs un Mirage IV des FAS, prêté un moment au CEV, garda quelque temps ce Vario à énergie totale, qui fit les délices de quelques pilotes des FAS (dont votre serviteur) : génial pour les approches monomoteur et les accélérations supersoniques, entre autres.
     Arrêtons nous un instant sur ce problème capital des vitesses, en jetant un coup d’œil sur la partie « Vitesses du carton de décollage » d’un Concorde, décollant à la masse max normale, 185 tonnes, à Charles de Gaulle ( CDH ), température 14 °, QNH 1013 . :
- V1 : 148 kt ( piste sèche) : vitesse de décision.
- VR : 195 kt : vitesse de rotation vers 13 ° d’assiette
 


- V2 : 216 kt : vitesse cible de début de montée après DL.
- VZRC 3 : 194 kt : vitesse de pente nulle sur 3 moteurs.
- VZ 3 : 1.100 feet/min : Vario normal à V2 sur 3 moteurs.
     On peut observer la proximité de certaines vitesses et imaginer la précision du pilotage demandée. Dans le cas choisi d’un décollage lourd, 62 secondes s’écoulent entre le lâcher des freins et la coupure des réchauffes …. Ça ne glande pas !
     Sur le plan des commandes de vol et pour avoir volé sur les deux avions, j’ai observé que le Concorde, sans ses aides au pilotage, donc en pilotage mécanique, est extrêmement pointu et désagréable, alors que le Mirage IV, plongeurs enlevés, est, somme toute, paisible et un RVT en vol est encore possible.
     Tout cela est normal : le Mirage IV doit pouvoir exécuter sa mission en conditions techniquement dégradées et il est, de ce point de vue, extrêmement réussi et sûr . Le Concorde, avion civil de transport, doit rester un avion sans problèmes de pilotage et est, en conséquence, équipé avec une grande redondance d’aides et de protections diverses et efficaces : la sécurité n’a pas de prix et doit être démontrée au cours de la certification de l’avion .
     Un mot sur l’accident du Mirage IV 04 à Toulouse, le 23 octobre 1968, qui amena l’éjection de l’équipage DUDAL / CANEILL dans des conditions limites et la destruction de l’appareil dans une zone inhabitée.
     L’exécution de la mission « mesures anémométriques » comporte des survols, à très basse altitude, d’une base équipée de cinéthéodolites et à des vitesses croissantes. Cette mission est d’ailleurs connue sous le terme suffisamment explicite de « passages à la tour ». Les points de mesure obtenus permettent d’établir une courbe d’étalonnage.
     Au cours d’un de ces passages bas et vers 500 kt, le pilote voulut augmenter rapidement sa vitesse et afficha dans la foulée PG sec et pleine PC : le bruit de canon perçu et la décélération franche résultant de la manœuvre, l’amena à identifier une double extinction moteur, annoncée aux observateurs en salle d’écoute. Le pilote manoeuvra alors de son mieux pour éviter les zones habitées et l’équipage s’éjecta à la limite basse du domaine. 21 secondes s’écoulèrent entre l’annonce de l’extinction et l’éjection.
     Pour la petite histoire, l’éjection en second, à cause d’une fausse manip du navigateur ingénieur CANEILL, fit dire savoureusement ensuite qu’il fut le seul navigateur MIRAGE IV de l’Histoire à avoir enregistré 1 seconde et ½ de vol monoplace dans cet avion ….
 

     L’ingénieur André CAVIN , qui supervisait la mission eut l’intuition , postérieurement, à cause d’une des particularités de l’avion, ( délestage de l’UHF en cas d’extinction réelle , mais non observée ici ), que l’on venait d’assister non à une extinction mais à un type courant de décrochage tournant du moteur : dans ce cas, les compte-tours restent à des valeurs basses, les T4 restent à des valeurs élevées : le bourrage arrière de la tuyère, dû à l’allumage brutal de la PC, freine la turbine et fait décrocher en partie le compresseur, circulairement ou par secteurs.
     Il existe un remède radical pour retrouver un fonctionnement normal du réacteur : couper les PC et reculer les manettes. Et surtout ne pas engager la procédure de ré-allumage en vol, qui amène à éteindre volontairement le moteur ! L’enquête technique confirma (enregistreurs et expertise), que les moteurs ne s’étaient pas éteints.
Ainsi finit l’aventure du rapprochement du Mirage IV sur le programme TSS.
     On ne voit pas dans tout cela une véritable filiation entre les avions : le MIRAGE IV fut choisi comme « avion d’appui au programme » parce qu’il était le seul se rapprochant par ses caractéristiques et performances du futur avion civil. Ce fut tout de même une expérience positive, et il faut en féliciter les acteurs.
     L’expérience gagnée au cours de toutes les missions exécutées sur les MIRAGE IV N° 04 et N° 03 ont permis surtout à l’équipage de Concorde de définir, préparer et quasiment répéter sereinement, avant l’heure, le 1er vol du prototype du Concorde.

Maurice LARRAYADIEU

Lexique :

MMO : Mach Maximum Opérationnel ( ou Mach de croisière maxi permis) : 2,02 puis 2,00 (1997).

VMO : Vitesse Maximum Opérationnelle ( ou Vitesse indiquée maxi permise ) :

TMO : Température Maximum Opérationnelle : C’est la Température d’impact maxi autorisée :
T= 127 °Celcius .

Z de croisière : autorisée jusqu’à 60.000 feet ou 18300 m.

Pour information : au-delà de ces valeurs, qui constituent les limites du DOMAINE AUTORISE, commence le DOMAINE PERIPHERIQUE, seulement autorisé pour les pilotes d’essais et dûment explicité dans leur ordre de vol.

TSS : Transport Super Sonique
 


     Voici un appel d’un très ancien commandant d’escadron de l’ARBOIS à  Luxeuil. A lire attentivement et avec sérieux. La suite de l’histoire doit, bien évidemment, être transmise à la rédaction de l’Anfas contact.

 

Les aventures d’ ANATOLE-le-Daube

Comme chacun sait, le CIEES (1) de Colomb-Béchar était connu en son temps comme centre d’exportation d’ADC (2), tels les fennecs et les « daubes », ce lézard des sables à large queue plate et hérissée d’épines, en général par le biais des garçons du contingent ramenant à leur libération un tel souvenir en métropole.

Or, un jour, un beau MIRAGE IV du 3/94 « ARBOIS » s’en fut, après un premier ravitaillement bien réussi entre Baléares et Oran et une accélération furieuse à mach 1,8, larguer « sa bombe » sur le champ de tir d’Hammaguir ( sud-ouest de Colomb-Béchar ) dans le cadre d’une belle compétition d’alors !…

Hélas, à la décélération, il advint qu’un moteur fit « chouffa » et notre équipage n’eut qu’à se poser à Béchar. Un NORD 2501 «  navette » amena un moteur tout neuf et une équipe technique pour effectuer sur place l’échange standard. Le MIRAGE IV revint alors à Luxeuil tout auréolé de cet incident…

Très vite, l’on s’aperçut que l’EB comptait un membre de plus, venu d’Algérie : un « daube » qui fut joliment baptisé « ANATOLE ». Il avait ses quartiers dans un tiroir de l’OSV(3) d’alors, généreusement rempli de sable. Et lorsqu’il faisait frais, on l’installait sur le radiateur de son patron, tout « espatarné » et se parant de ces jolies ocelles jaunes et bleues, caractéristiques d’un natif d’un pays chaud «  à bonne température ».

 

     Je reste persuadé que cet animal fut le seul à voyager en MIRAGE IV, mais le pilote en cause s’en défendit vigoureusement, prétendant que c’étaient les mécanos qui le lui avaient ramené !… Bien que la chronologie des évènements fut douteuse et, ( en absence de toute « fuite »), on en resta là et ANATOLE continua à couler des jours heureux ; on lui fit même en ZTO (4) un petit enclos pour lui permettre de prendre l’air…
     Malheureusement, un jour, il dût passer sous le grillage et s’en alla à la rencontre d’un gentil jardinier qui tondait l’herbe haute. Bilan : une patte sectionnée !
     Appelé de toute urgence, le médecin du PN ( seul habilité à pénétrer en ZTO ) lui fit une piqûre de pénicilline « en cas » !… Au grand dam de tous, Anatole sombra dans un coma profond et on le crût même mort, jusqu’à ce qu’enfin, il ouvrit un œil et remua une patte ! Notre toubib, informé ( et ravi ) de cette résurrection, attrapa alors sa calculette et s’aperçut – horreur ! – que la dose administrée, compte tenu du poids du receveur, équivalait à une dose de plusieurs kilos d’antibiotique pour un homme normalement constitué ( de quoi en assommer un plus résistant !)
     Lorsque je quittais l’escadron, Anatole allait bien, pour la plus grande joie de tous, mais j’ignore – malheureusement – ce qu’il est devenu ? Et comme maintenant, il y a prescription, je voudrais bien connaître la vérité sur le voyage aérien d’Anatole. Réponse, peut-être, dans une prochaine livraison de l’anfas contact.

Jean Durand-Dastes. Colonel ( H )

( 1 ) CIEES : Centre Interarmées d’Essais d’Engins Spéciaux.
( 2 ) ADC : animal de compagnie
( 3 ) OSV : officier de sécurité des vols.
( 4 ) ZTO : zone technique opérationnelle.
 

L’AEROPHILATELIE. ( ensemble de documents postaux se rapportant aux hommes et aux choses de l’air )

Par Yves RIONDET – Editions de l’Officine 45, rue des Petites Ecuries 75010 Paris. ( format 14,5x20 cm – 20 € )

Notre collègue des FAS a occupé sa retraite à rédiger cette redécouverte de l’épopée de l’Aéronautique française. Nous savions qu’il était un passionné du MIRAGE IV mais il nous avait caché sa passion pour les « choses » aériennes via la Poste. C’est un véritable guide des moments forts de notre aviation civile et militaire. Précisez que vous êtes de l’ANFAS. Yves RIONDET vous fera – peut-être – un prix…..