N°38 - Juin 2005

L’équipe de rédaction : C.Auzépy christian.auzepy@wanadoo.fr
Site anfas : http://anfas.free.fr

Le mot du Président

     Après le 23 juin, date de dissolution du dernier escadron opérationnel sur MIRAGE IV, le N° 59 – FTHCF – va être installé sur une stèle sur la base de Creil, ex-escadron 3/91 Beauvaisis, le N° ? à Luxeuil, ex-escadron 3/94 Arbois et le N° 36 – FTHBI – à Istres, ex-escadron 1/93 Guyenne.
     Comme le MIRAGE III, son petit frère, le IV va se fondre dans les paysages des entrées de bases ou des abords des PC de colonel.
Dans les années à venir, lorsque nous serons reçus par nos successeurs, nous irons admirer ces belles bêtes et toucher avec respect le bord de l’aile ou le radôme de la contre-mesure. Les étourneaux et les mésanges auront pu faire leur nid dans la voûte de l’arme.
     Dans les habitudes de l’armée de l’air, le patrimoine aérien fait partie du paysage de la base. Je souris en pensant qu’un général FAS ou DA puisse avoir l’idée d’installer un C135 FR sur la base de Taverny avec une aile au-dessus des bâtiments du CFAS et l’autre au-dessus de ceux de la DA. Le personnel travaillant dans le « trou » devra se glisser entre les jambes du train d’atterrissage pour rejoindre la zone opérationnelle du souterrain. Mais, pas de panique, les C135 FR ont du potentiel jusqu’en 2015 et après.
     

Les 22 et 23 juin, à Mont-de-Marsan, sur la base 118 « Rozanoff », les hommes et femmes de la génération du MIRAGE IV A et P salueront une dernière fois ceux qui restent, ceux des C 135 FR, ceux des MIRAGE 2000N, ceux du CITAC. C’est vrai, ceux du IV ont pris de l’âge - regardez-les, cela se voit - mais ils conservent dans leurs neurones, le plaisir d’avoir fait et bien fait leur travail. Après Mérignac pour les 40 ans, nous nous retrouverons très nombreux à Mont-de-Marsan pour les 2 jours du « dernier vol du IV ». Notre avion méritait bien deux jours de fête. Merci au commandement et au personnel de l’ERS et de la base d’assumer cette charge de travail… pour le plaisir et la mémoire des anciens.
 

Jacques Pensec
 

 A celui qui reste….le C135F.

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     Au début des années 50, l’U.S.Air Force passa commande d’une version dérivée du futur 707 alors en développement : une quadri réacteur moderne qui allait donner naissance en parallèle au KC135 Stratotanker. Le prototype de cet avion fit son premier vol en août 1956 à Seattle. Plus de 700 KC135 allaient être construits dont 12 pour la France sous la dénomination de C135F.
     Le C135F de 1964 a-t-il encore beaucoup de points communs avec le C135FR d’aujourd’hui ? Au vu des évolutions apportées à nos ravitailleurs il est intéressant de retracer leur activité au fil des années.
     Tout d’abord, une présentation de la machine s’impose. A l’origine la version française présente de notables différences par rapport à l’américaine : un plancher métallique renforcé, supportant plus de charge que celui en bois du KC135A, doit permettre d’être le plus polyvalent possible. L’intérieur du cargo peut être aménagé en diverses configurations : une version palettisée pour le transport de fret avec jusqu’à 9 palettes de 3,6 tonnes chacune ; une autre pour le transport de passagers soit sur banquettes (126 places) soit sur des sièges disposés latéralement (45 places) ; une dernière configuration sanitaire (peu employée heureusement..) permet de transporter 40 blessés sur civière ainsi que 21 personnes d’accompagnement, médecins plus assistants. La configuration VIP, confectionnée à l’échelon local est composée d’un salon et de deux chambres avec toilettes. L’emport de passagers étant prévu, l’avion dispose de deux groupes de pressurisation et de climatisation, alors que le KC135 n’en possède qu’un seul.
     La fonction essentielle de cet appareil étant d’embarquer du carburant pour ensuite le distribuer en vol, de nombreux réservoirs sont logés dans ses entrailles. Si vous visitez toutefois un jour un C135FR ne soyez pas surpris de ne pas trouver de grosses cuves à l’intérieur du cargo. Non ! Tout l’espace qui reste disponible est utilisé pour y loger du fret ou des passagers. Les réservoirs en tant que tels sont ailleurs…..Les ailes, divisées en trois parties contiennent du kérosène dans des réservoirs dits structuraux. L’espace central entre les deux ailes est aussi utilisé pour contenir du carburant. Ce qui sert normalement de soute à bagages sur un avion de transport civil est ici occupé par des réservoirs en caoutchouc fixés sous le plancher cargo et qui renferment chacun deux pompes de ravitaillement à gros débit (de 0,4 à 2 tonnes à la minute) utilisées pour
 


refouler le carburant vers l’avion ravitaillé au travers de la perche de ravitaillement ou « boom ». Tout un ensemble de vannes et de tuyauteries permet aussi le transfert, total ou partiel, du contenu des autres réservoirs vers ces derniers.
     Du fait de sa capacité mixte, la capacité du C135F est inférieure à celle du KC135A qui possède, lui, un réservoir supplémentaire lui permettant d’emporter au maximum 108.100 litres (86 tonnes) de carburant contre 102.000 litres (81 tonnes) pour la version Française. Mais le panachage de ces différentes configurations permet d’optimiser l’utilisation du C135F pour des missions spécifiques, comme le convoyage d’avions d’armes sur un site éloigné rendant ainsi le dispositif entièrement autonome. Pour le même type de mission les Américains utilisent des triréacteurs géants KC10A.
     Au début, les C135F étaient cantonnés à la mission de ravitailleur stratégique avec de longues attentes en zones d’alerte. Des évènements importants ont cependant changé le cours des choses et progressivement le C135F a démontré ses capacités dans des situations autres que celle fixée au début de sa carrière ; pour cela certaines modifications majeures ont dû être apportées afin de le rendre plus performant.
     Mais faisons un détour historique. En 1966, structures et Commandement des FAS sont bien définies ; l’outil de la dissuasion stratégique existe ; le couple indissociable C135F-Mirage IVA doit alors démontrer son efficacité. En mai, un Mirage IV décolle de Mont de Marsan accompagné de deux C135F à destination de HAO dans le Pacifique. Le périple s’effectue en trois étapes et 24h de vol. L’opération « Tamouré » - le tir de la première bombe atomique depuis un Mirage IVA – sera couronnée de succès.
     Lors des campagnes de tirs aériens dans le pacifique, les Boeing sont souvent utilisés comme avion météo. C’est ainsi que le 30 juin 1972 les FAS perdront leur premier et unique C135F, victime d’une grave panne réacteur. L’équipage du Commandant DUGUET y trouvera la mort.
     En 1977, les C135F sont engagés, pour la première fois, dans un conflit classique à partir de Dakar au Sénégal lors de l’opération « LAMENTIN ». Beaucoup d’autres vont suivre : en Afrique, dans le cadre des opérations « TACAUD »,« MANTA »,« EPERVIER »,« MURENE », puis en Arabie Saoudite avec « DAGUET » durant la guerre du Golfe. Suivront après « ALYSSE » encore en Arabie et « ACONIT » en Turquie…et bien d’autres.
     Entre temps, l’Armée de l’air avait décidé d’entreprendre une série de modifications majeures afin d’améliorer les performances de sa flotte de ravitailleurs. La première consiste à introduire deux centrales inertielles de navigation « Ulysse 45 » procurant ainsi aux appareils des capacités de navigation nettement plus précises. En 1978, dans le cadre d’une opération industrielle, réalisée aux Etats-Unis à Wichita, les C135F passent les uns après les autres en chantier pour recevoir des nouveaux panneaux d’intrados. Par la même occasion certaines pièces maîtresses : longerons, renforts de nervures sont remplacés prolongeant ainsi le potentiel cellules de 25.000 heures permettant aux avions d’aborder sereinement le 21e siècle. Plus tard, un autre projet est envisagé, il s’agit de remotoriser les appareils. En effet, les vieux moteurs J57-P-59W à injection d’eau sont robustes par construction mais compliqués à mettre en œuvre.
 

     Leurs performances sont limitées. Une remotorisation avec un moteur de dernière génération est proposée. Le moteur Franco-américain CFM56 est retenu. Accompagnant cette modification qui procure une poussée unitaire de dix tonnes au lieu de six tonnes avec l’ancien propulseur, deux APU (Auxiliary Power Unit) sont montés au fond du cargo, donnant une parfaite autonomie pour les opérations au sol. Le programme de cette remotorisation prévoit l’intégration directe des ravitailleurs français dans la chaîne de montage chez Boeing.
     Le 26 août 1985, le premier C135FR (R pour remotorisé) est de retour en Provence. Le 25 janvier 1988 a lieu le dernier vol en France d’un C135F (n°737) qui reviendra de Wichita le 13 avril de la même année. Ces nouveaux moteurs améliorent considérablement les performances du Boeing. La poussée est accrue de 40 à 50%, ce qui a pour conséquence d’augmenter les capacités d’emport et de réduire les longueurs de pistes nécessaires au décollage. La consommation est abaissée de 27% et le niveau de bruit au décollage réduit de 90% par rapport à l’ancien modèle ! L’effort de rénovation se poursuit jusqu’en 1989 ; un nouveau pilote automatique, extrapolé de celui du Breguet Atlantic NG, est intégré en même temps qu’une planche de bord modernisée correspondant à l’instrumentation des appareils de la gamme Airbus A300.
     L’augmentation des missions des Boeing, conséquence de l’accroissement de la flotte d’avions de combat ravitaillables (Jaguar, Mirage F1 et Mirage 2000) et de l’achat de quatre Boeing E-3F Awacs (ravitaillables en mode « rigide ») requiert une disponibilité croissante des C135FR. Pour y faire face, en décembre 1992, trois KC135R sont loués à l’USAF. Rendus en juillet 1994 ils sont remplacés par deux autres en septembre 1994.
     Allant plus loin, et s’inspirant du système Britannique d’adjonction des nacelles de ravitaillement externes, munies d’un tuyau souple, placées sous les ailes pour accroître la capacité de transfert du C135FR, l’Armée de l’air passe à cette époque un contrat avec la firme Anglaise Flight Refuelling pour la fourniture de nacelles semblables à celles montées sur les ravitailleurs VC10.
     En mai 1993, un premier C135FR retourne à Wichita pour y subir un chantier d’intégration des dites nacelles, ainsi que la modification du circuit carburant et l’installation de nouvelles pompes d’un débit supérieur. Fin 1993, l’avion rentre en France après avoir subi des vols d’essais très poussés. Ce nouveau système s’avère efficace. Je me souviens d’ailleurs, avoir livré 32 tonnes de carburant en 28 minutes à des appareils de l’US Navy (6 F18, 2 EA6 et 2 F14) lors d’un détachement en Arabie Saoudite. D’autres programmes d’importance moindre sont toujours en cours ; les C135 ne cesseront d’évoluer tout au long de leur vie….
     J’aurais aimé vous parler plus succinctement du C135, mais il y a tant à raconter sur cet avion au bout de bientôt 21 ans de vie commune : 8 années comme mécanicien pistard et 13 ans en tant que « boomer » ; 5.500h de vol bouclées avec ce bon et solide copain de ma génération. Ton remplaçant s’annonce. Il n’est pas encore là. Mais il lui faudra, dans tous les cas d’énormes qualités pour te détrôner. D’ici là bon vent mon pote !
A/C Paul LAINE – ERV 00.093 « Bretagne ». 1996 .
 

Extrait du livre d’Alexandre Paringaux « Forces Aériennes Stratégiques »