N°21 - novembre 2002

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LE MOT DU PRÉSIDENT

Une journée à Luxeuil : Retrouvailles et émotion.

Étrange, étrange cette émotion qui fait remonter le cours du temps lorsqu’on retrouve des amis, des femmes d’amis, avec, dans les yeux, leur image d’il y a 30 ans, 20 ans. La partie de mon esprit qui joue avec les souvenirs se met tout de suite au diapason. Nous nous sommes quittés hier et nous nous retrouvons aujourd’hui : le temps n’a plus sa dimension. Mais en même temps, un autre côté de ma mémoire hésite et cherche dans les mèches blanches, dans la courbe d’un dos, dans la démarche un peu lente, l’homme avec qui nous avions fait un parcours évasion ou la femme de la valse endiablée d’un certain soir.

Mais tout cela est vite dominé. Nous sommes 100 sur le parking et nous sommes surpris par l’amitié qui arrive par bouffées, par accolades, par tapes amicales dans le dos, par des sourires de connivence et aussi par un peu de timidité et de respect les uns envers les autres. Chacun est bien dans sa peau à sa manière et le dit d’une manière différente. 

Émotion et visite. 

Ces « jeunes » qui nous ont reçus sur la BA 116 « Lt-Cl Tony Papin » sont à la hauteur. Nous l’avons senti dès l’entrée et c’est avec attention que nous avons écouté le briefing du Cel Hendel sur l’armée de l’air et sur les missions de la base. Chaque officier ou sous-officier, qui nous a reçus ensuite dans son domaine, a su nous présenter son métier et nous faire comprendre qu’il était un professionnel dans sa branche. Nous avons comparé leurs moyens avec ceux qui étaient les nôtres dans les années 1966-1983 et, parfois, « flippé » comme devant le simulateur de vol ou devant les moyens de l’atelier des réacteurs. Mais soyons tranquilles : le fil à freiner est toujours utilisé par la mécanique.

Je revois le sourire conquérant de cette épouse qui a pu s’asseoir dans le poste pilote du Mirage 2000N : son rêve de jeune fille peut-être enfin accompli ? Combien de nous sont passés voir le « cul » unique de l’avion en se disant que sur le Mirage IV A, et pour certains décollages, les 2 fois 10T5 de poussée au derrière auraient été un plus apprécié au lieu des 2 fois 7T5.

Visite et appel à la mémoire.

Précédés par un petit détachement d’élèves pilotes et navigateurs du centre d’instruction tactique 00.339 « Aquitaine », presque tous les membres de l’Anfas, dont le Général Maurin, se sont retrouvés au-dessus du village de Val d’Ajol pour un dépôt de gerbe sur le lieu du crash d’un Mirage IVA. Deux noms sont gravés sur la stèle : Cdt Courcelle-Labrousse, Ltt Dumas. Leurs insignes de brevet sont bien accrochés dans la pierre de la stèle. Cette dernière est perchée dans un très beau paysage et au moment de notre arrivée, la montagne accueillait la lumière rasante du soleil. Nous étions également sensibles à la beauté des arbres, habillés des couleurs ocres de l’automne. J’ai déposé une gerbe en notre nom à tous, absents et présents, au pied de ce petit monument, souvenir d’une nuit de janvier 1970. Il devait certainement faire froid cette nuit-là dans la montagne vosgienne. Depuis le paradis des aviateurs, je sais que nos deux amis ne sont pas restés insensibles à cette visite impromptue : recevoir des fleurs sans être prévenus, se retrouver entourés de jeunes galons, d’amis et de connaissances en si grand nombre, vous occupe un moment d’éternité. Promis, nous reviendrons et, de ce promontoire où le souvenir de deux aviateurs des FAS est figé, nous nous laisserons à nouveau pénétrer par la douceur de ce paysage qui a su se mettre en beauté pour accueillir la mémoire de l’ANFAS, ce lundi 7 octobre 2002. 
Jacques Pensec 


"Aââh… les Mirââges IV !…"

14 juillet 1965.

Entrés en service opérationnel le 1er octobre 1964, le Mirage IV se devait d'être présent pour la première fois au défilé traditionnel du 14 juillet 1965 au dessus des Champs Élysée. Avion le plus récemment arrivé dans l'Armée de l'Air, c'est à lui qu'appartenait d'être en tête du dispositif des quelques cent-cinquante avions prévus pour participer à ce défilé. Enfin, comme le commandement du premier escadron créé, à Mont-de-Marsan, m'avait été confié, c'est à moi que revenait ce rôle de leader de tout le dispositif.

C'était, bien sûr, une lourde responsabilité. Mais elle revenait encore bien plus à mon navigateur, mon presque homonyme lieutenant Caubert et à son SNB, qu'à moi-même. La totale réussite du défilé, passage à la seconde près et prise d'axe impeccable, reposait sur lui. Il va sans dire qu'il s'en est acquitté à la perfection.

La totalité des avions disponibles, seize, avaient été mis en place la veille sur la vieille piste de Brétigny. Si ma mémoire est bonne, à cette date il n'y avait encore que quatre escadrons (1). Chacun devait fournir un "box" de trois appareils et, pour cela, avait déployé ses quatre avions affectés. 

Comme d'habitude le 14 juillet, la météo sur Paris était déplorable au petit matin (les prévisions consultées la veille m'avaient même quelque peu empêché de dormir !). Un ciel de traîne active éparpillait ses cumulus déchiquetés, avec un plafond bas. Heureusement en cours de matinée la situation s'est un peu arrangée rendant le défilé très faisable, avec une turbulence modérée.

Tout s'est passé comme dans le livre !… Tous les avions prévus ont décollé sans même faire appel aux "spares". Au cours du long hippodrome entourant la région parisienne, les autres formations ont rejoint la nôtre sans encombre. Caubert nous avait déjà parfaitement alignés dès le passage sur le château d'eau de l'usine de Poissy et nous passions pile à l'heure sur le Rond-point des Champs-Élysées. Les photos prises avec la caméra de restitution apportent encore aujourd'hui la preuve de la perfection de notre manœuvre ! 

 Après le passage, la formation éclate et chaque box retourne sur son terrain d'origine. Seul, je me repose immédiatement à Brétigny, où un hélico 

Le Général est debout, impassible, devant son large bureau. A ses côtés le Ministre de la Défense, Michel Debré, et les membres de son État-major particulier. A peine entré, chacun se fige devant le chef de l'État en un impeccable garde à vous et salue. Le Général attend que le petit doigt ait rejoint la couture du pantalon et, toujours imperturbable, avance le bras pour une ferme poignée de mains. Et hop ! au suivant !…

Mon tour arrive. L’huissier m’annonce. « Le Commandant CAUBEL, chef du dispositif aérien et commandant des Mirages IV ». Alors là, le Général se transforme, sa figure s’éclaire et, à la stupéfaction de l’assistance, bras grands ouverts comme au balcon de Québec, il lance un puissant et solennel :
"Aââh… les Mirââges IV !…"

Et, s’approchant de moi sans attendre mon salut, il me donne une double et presque affectueuse accolade. 

Je salue et je m'en vais. J'ai le temps de m'apercevoir qu'il a déjà repris son attitude figée de Chef des Armées.

Le temps de l’émotion n'aura duré que quatre secondes.

Mais cette émotion était forte. Elle marquait l'immense satisfaction d'un homme qui voyait enfin l'aboutissement, par sa volonté tenace, d'un projet jugé primordial pour la grandeur de la France.

P. CAUBEL


1) - les trois escadrons de la 91ème Escadre (Mont-de-Marsan, Cazaux et Creil) et l'EB 1/93 d'Istres.