N°11 - Mars 2001
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Le mot du Président Après Taverny, Cazaux, Apt, Marsan, Istres, notre rendez-vous de cette année 2001 se tiendra à Avord. |
Souvenirs des Bombardiers Lourds
Ce 11 septembre 1944, à la base d'ELVINGTON, il faisait un temps magnifique. L'anticyclone des Açores poussait ses hautes pressions loin sur l'Europe de l'Ouest. La traditionnelle cérémonie, consacrée à la lecture de l'ultime citation du Capitaine GUYNEMER, prenait, ce temps de guerre, un émouvant relief : les mots célèbres " lutte ardente ; énergie farouche, courage sublime " étincelaient comme des épées nues. Au garde-à-vous, je regardais les visages graves de mes compagnons d'armes. Parmi les assistants, vingt équipages des deux groupes " GUYENNE " et " TUNISIE " étaient désignés pour le prochain objectif, une usine d'essence synthétique de la firme NORDSTERN, à GELSENKIRCHEN. Avec un temps pareil, il fallait s'attendre à être reçus, comme des rois de France, avec les honneurs du canon : la RUHR en comptait mille quatre cents -de l'excellent calibre de 88- qui, fort heureusement, ne tiraient pas tous en même temps. |
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n'arrêta donc aucun avion…Messieurs les Allemands avaient tirés trop tôt, mais ils rectifièrent le tir dans les secondes qui suivirent et une " flak " infernale se déchaîna. Comme à l'accoutumée, dans les minutes qui précédaient le largage des bombes, j'écartais les rideaux noirs de ma caverne platonicienne de navigateur pour assister au spectacle. Les flocons noirs fusaient devant, dessous, dessus. Ceux de l'arrière, je ne les voyais pas et ils n'étaient déjà plus pour nous ! Soudain je vis un éclair rouge -le seul que j'aperçu jamais, Dieu soit loué- à quelques mètres devant mon HALIFAX. Le bombardier, le Slt ROBERT, s'affala sur le viseur, puis se releva. Un laconique dialogue s'engagea : - ROBERT, êtes-vous blessé ? - Non, mon capitaine, mais j'ai eu l'impression de recevoir un coup de poing dans le dos… Une rapide inspection me donna la clé de l'affaire : le nez vitré de l'avion avait un trou circulaire d'environ 3 centimètres de diamètre. L'invasion brutale de l'air avait donné un choc au bombardier. Les lignes de signaux de ma boîte GEE étant complètement tordue, je décelai un enfoncement du métal par un éclat d'obus que je trouvai sur ma table de navigation. Ce morceau d'acier, gros comme le pouce, nous avait donc raté de quelques dizaines de centimètres. L'objectif approchait. Des drames se nouaient autour de nous. Les deux mitrailleurs, le S/C THIBEAU et le Sgt FAIVRE signalèrent qu'un avion du Groupe venait d'exploser, sans doute atteint de plein fouet dans la soute à bombes. " Seul l'Adj OGER, mitrailleur arrière, se sauva par miracle : ne pouvant se dégager de la tourelle, il fit, en chute libre, une vertigineuse descente de plusieurs milliers de mètres. Sans perdre son sang-froid, il réussit à commander l'ouverture de son parachute qui l'arracha littéralement à ce bloc de ferraille, quelques secondes avant le contact fatal avec le sol " Dans un autre appareil, le Slt ROTTE, bombardier, mortellement touché à l'artère fémorale, expirait dans les bras de son commandant d'avion, le Ltt LAC. Les secondes se traînaient, interminables. Le bombardier annonça enfin qu'il allait nous débarrasser des quatre tonnes de foudre que nous avions sous nos pieds. Le S/C DANIEL, pilote impavide, tenait dans ses paumes adroites les trente et une tonnes du HALIFAX et modifiait, selon les indications du bombardier, par d'imperceptibles coups de palonnier, le cap des ultimes secondes. La croix lumineuse du viseur, épée vengeresse, courait sur le sol à la rencontre de l'objectif. C'est avec un intense soulagement que tout l'équipage entendit les mots tant espérés " bombes larguées ". Les seize bombes de 250 kilos filaient toutes noires vers l'usine à détruire. Encore trente secondes de ligne droite pour prendre la photographie et l'on pourrait peut-être sortir de cet enfer ! …Et l'on en sortit, après dix minutes de " flak "diabolique, le temps de traverser la RUHR du Nord au Sud. Le passage du Rhin entre DUSSELDORF et COLOGNE, fut un ravissement : il n'y avait plus dans le ciel aucun flocon noir ! |
Le survol de la Belgique, le franchissement de la côte Française en évitant les poches résiduelles encore aux mains des Allemands -un mauvais coup de " flak " est vite arrivé- la traversée de la mer du Nord, tout cela se passa en douceur. ORFORDNESS, sur la côte Anglaise, accueillit les cent sept rescapés de ce raid. Trente minutes plus tard, apparurent les verts gazons de la Base d'ELVINGTON. Après cette très chaude affaire, qui n'était que la troisième sortie de l'équipage, nous eûmes à camionner vers l'Allemagne nazie vingt-huit autres cargaisons de bombes, avant d'être libérés le 18 avril 1945. Mais, chose parfaitement compréhensible, cette sortie du 11 septembre 1944 servit de mission de référence et de consolation : même après une dure opération, il était volontiers admis que tout s'était assez bien passé et qu'on avait été bien moins secoués qu'à GELSENKIRCHEN. Il faut dire, en toute sérénité, que jamais plus les Dieux de la météo ne furent aussi favorables à l'artillerie antiaérienne allemande, qui, ce jour-là, en ciel parfaitement clair, abattit sept avions et en toucha cinquante-trois. D'après le récit de Henri JEAN ; bulletin d'information de l'Amicale des anciens des Groupes Lourds-juillet 2000. UN BREF INSTANT D'ÉTERNITÉ La vie est ronde sur la Terre Et l'homme n'en voit point le bout Il marche ébloui par l'éther Mène sa quête solitaire Vers d'invisibles rendez-vous Chaque pas en entraîne un autre Le jour chasse le jour qui va Entre blasphème et patenôtre Qu'on soit larron ou bon apôtre L'un tire à hue et l'autre à dia Mais dans cette course hésitante Bat notre cœur irréfuté Qui parfois fait halte en attente Sur un amour qui lui consente Un bref instant d'éternité Et tout se résume en la somme De ceux qu'en secret nous aimons Le fruit d'une existence d'homme Comme sur un pommier la pomme Nourrie à la sève du tronc Ainsi souvent notre œil s'égare Oublieux qu'à la fin pourtant L'opaque cloison du hasard Fermera l'horizon épars Sous la poigne lourde du temps. Germain CHAMBOST Extrait de son recueil de poèmes ; Nouvelles éditions Debresse- Paris. 27/3/89. |