Après le 23
juin, date de dissolution du dernier escadron opérationnel sur MIRAGE
IV, le N° 59 – FTHCF – va être installé sur une stèle sur la base de
Creil, ex-escadron 3/91 Beauvaisis, le N° ? à Luxeuil, ex-escadron 3/94
Arbois et le N° 36 – FTHBI – à Istres, ex-escadron 1/93 Guyenne.
Comme le MIRAGE III, son petit frère, le IV va se
fondre dans les paysages des entrées de bases ou des abords des PC de
colonel.
Dans les années à venir, lorsque nous serons reçus par nos successeurs,
nous irons admirer ces belles bêtes et toucher avec respect le bord de
l’aile ou le radôme de la contre-mesure. Les étourneaux et les mésanges
auront pu faire leur nid dans la voûte de l’arme.
Dans les habitudes de l’armée de l’air, le patrimoine
aérien fait partie du paysage de la base. Je souris en pensant qu’un
général FAS ou DA puisse avoir l’idée d’installer un C135 FR sur la base
de Taverny avec une aile au-dessus des bâtiments du CFAS et l’autre
au-dessus de ceux de la DA. Le personnel travaillant dans le « trou »
devra se glisser entre les jambes du train d’atterrissage pour rejoindre
la zone opérationnelle du souterrain. Mais, pas de panique, les C135 FR
ont du potentiel jusqu’en 2015 et après.
Les 22 et 23 juin, à Mont-de-Marsan, sur la base 118 « Rozanoff », les hommes et femmes de la génération du MIRAGE IV A et P
salueront une dernière fois ceux qui restent, ceux des C 135 FR, ceux
des MIRAGE 2000N, ceux du CITAC. C’est vrai, ceux du IV ont pris de
l’âge - regardez-les, cela se voit - mais ils conservent dans leurs
neurones, le plaisir d’avoir fait et bien fait leur travail. Après
Mérignac pour les 40 ans, nous nous retrouverons très nombreux à
Mont-de-Marsan pour les 2 jours du « dernier vol du IV ». Notre avion
méritait bien deux jours de fête. Merci au commandement et au personnel
de l’ERS et de la base d’assumer cette charge de travail… pour le
plaisir et la mémoire des anciens.
Jacques Pensec
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A celui qui reste….le C135F. |
. . ./. . .
Au début des années 50, l’U.S.Air
Force passa commande d’une version dérivée du futur 707 alors en
développement : une quadri réacteur moderne qui allait donner naissance
en parallèle au KC135 Stratotanker. Le prototype de cet avion fit son
premier vol en août 1956 à Seattle. Plus de 700 KC135 allaient être
construits dont 12 pour la France sous la dénomination de C135F.
Le C135F de 1964 a-t-il encore beaucoup de points
communs avec le C135FR d’aujourd’hui ? Au vu des évolutions apportées à
nos ravitailleurs il est intéressant de retracer leur activité au fil
des années.
Tout d’abord, une présentation de la machine s’impose.
A l’origine la version française présente de notables différences par
rapport à l’américaine : un plancher métallique renforcé, supportant
plus de charge que celui en bois du KC135A, doit permettre d’être le
plus polyvalent possible. L’intérieur du cargo peut être aménagé en
diverses configurations : une version palettisée pour le transport de
fret avec jusqu’à 9 palettes de 3,6 tonnes chacune ; une autre pour le
transport de passagers soit sur banquettes (126 places) soit sur des
sièges disposés latéralement (45 places) ; une dernière configuration
sanitaire (peu employée heureusement..) permet de transporter 40 blessés
sur civière ainsi que 21 personnes d’accompagnement, médecins plus
assistants. La configuration VIP, confectionnée à l’échelon local est
composée d’un salon et de deux chambres avec toilettes. L’emport de
passagers étant prévu, l’avion dispose de deux groupes de pressurisation
et de climatisation, alors que le KC135 n’en possède qu’un seul.
La fonction essentielle de cet appareil étant
d’embarquer du carburant pour ensuite le distribuer en vol, de nombreux
réservoirs sont logés dans ses entrailles. Si vous visitez toutefois un
jour un C135FR ne soyez pas surpris de ne pas trouver de grosses cuves à
l’intérieur du cargo. Non ! Tout l’espace qui reste disponible est
utilisé pour y loger du fret ou des passagers. Les réservoirs en tant
que tels sont ailleurs…..Les ailes, divisées en trois parties
contiennent du kérosène dans des réservoirs dits structuraux. L’espace
central entre les deux ailes est aussi utilisé pour contenir du
carburant. Ce qui sert normalement de soute à bagages sur un avion de
transport civil est ici occupé par des réservoirs en caoutchouc fixés
sous le plancher cargo et qui renferment chacun deux pompes de
ravitaillement à gros débit (de 0,4 à 2 tonnes à la minute) utilisées
pour
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refouler le carburant vers l’avion
ravitaillé au travers de la perche de ravitaillement ou « boom ». Tout
un ensemble de vannes et de tuyauteries permet aussi le transfert, total
ou partiel, du contenu des autres réservoirs vers ces derniers.
Du fait de sa capacité mixte, la capacité du C135F est
inférieure à celle du KC135A qui possède, lui, un réservoir
supplémentaire lui permettant d’emporter au maximum 108.100 litres (86
tonnes) de carburant contre 102.000 litres (81 tonnes) pour la version
Française. Mais le panachage de ces différentes configurations permet
d’optimiser l’utilisation du C135F pour des missions spécifiques, comme
le convoyage d’avions d’armes sur un site éloigné rendant ainsi le
dispositif entièrement autonome. Pour le même type de mission les
Américains utilisent des triréacteurs géants KC10A.
Au début, les C135F étaient cantonnés à la mission de
ravitailleur stratégique avec de longues attentes en zones d’alerte. Des
évènements importants ont cependant changé le cours des choses et
progressivement le C135F a démontré ses capacités dans des situations
autres que celle fixée au début de sa carrière ; pour cela certaines
modifications majeures ont dû être apportées afin de le rendre plus
performant.
Mais faisons un détour historique. En 1966, structures
et Commandement des FAS sont bien définies ; l’outil de la dissuasion
stratégique existe ; le couple indissociable C135F-Mirage IVA doit alors
démontrer son efficacité. En mai, un Mirage IV décolle de Mont de Marsan
accompagné de deux C135F à destination de HAO dans le Pacifique. Le
périple s’effectue en trois étapes et 24h de vol. L’opération « Tamouré
» - le tir de la première bombe atomique depuis un Mirage IVA – sera
couronnée de succès.
Lors des campagnes de tirs aériens dans le pacifique,
les Boeing sont souvent utilisés comme avion météo. C’est ainsi que le
30 juin 1972 les FAS perdront leur premier et unique C135F, victime
d’une grave panne réacteur. L’équipage du Commandant DUGUET y trouvera
la mort.
En 1977, les C135F sont engagés, pour la première fois,
dans un conflit classique à partir de Dakar au Sénégal lors de
l’opération « LAMENTIN ». Beaucoup d’autres vont suivre : en Afrique,
dans le cadre des opérations « TACAUD »,« MANTA »,« EPERVIER »,« MURENE
», puis en Arabie Saoudite avec « DAGUET » durant la guerre du Golfe.
Suivront après « ALYSSE » encore en Arabie et « ACONIT » en Turquie…et
bien d’autres.
Entre temps, l’Armée de l’air avait décidé
d’entreprendre une série de modifications majeures afin d’améliorer les
performances de sa flotte de ravitailleurs. La première consiste à
introduire deux centrales inertielles de navigation « Ulysse 45 »
procurant ainsi aux appareils des capacités de navigation nettement plus
précises. En 1978, dans le cadre d’une opération industrielle, réalisée
aux Etats-Unis à Wichita, les C135F passent les uns après les autres en
chantier pour recevoir des nouveaux panneaux d’intrados. Par la même
occasion certaines pièces maîtresses : longerons, renforts de nervures
sont remplacés prolongeant ainsi le potentiel cellules de 25.000 heures
permettant aux avions d’aborder sereinement le 21e siècle. Plus tard, un
autre projet est envisagé, il s’agit de remotoriser les appareils. En
effet, les vieux moteurs J57-P-59W à injection d’eau sont robustes par
construction mais compliqués à mettre en œuvre.
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Leurs performances sont
limitées. Une remotorisation avec un moteur de dernière génération est
proposée. Le moteur Franco-américain CFM56 est retenu. Accompagnant
cette modification qui procure une poussée unitaire de dix tonnes au
lieu de six tonnes avec l’ancien propulseur, deux APU (Auxiliary Power
Unit) sont montés au fond du cargo, donnant une parfaite autonomie pour
les opérations au sol. Le programme de cette remotorisation prévoit
l’intégration directe des ravitailleurs français dans la chaîne de
montage chez Boeing.
Le 26 août 1985, le premier C135FR (R pour remotorisé)
est de retour en Provence. Le 25 janvier 1988 a lieu le dernier vol en
France d’un C135F (n°737) qui reviendra de Wichita le 13 avril de la
même année. Ces nouveaux moteurs améliorent considérablement les
performances du Boeing. La poussée est accrue de 40 à 50%, ce qui a pour
conséquence d’augmenter les capacités d’emport et de réduire les
longueurs de pistes nécessaires au décollage. La consommation est
abaissée de 27% et le niveau de bruit au décollage réduit de 90% par
rapport à l’ancien modèle ! L’effort de rénovation se poursuit jusqu’en
1989 ; un nouveau pilote automatique, extrapolé de celui du Breguet
Atlantic NG, est intégré en même temps qu’une planche de bord modernisée
correspondant à l’instrumentation des appareils de la gamme Airbus A300.
L’augmentation des missions des Boeing, conséquence de
l’accroissement de la flotte d’avions de combat ravitaillables (Jaguar,
Mirage F1 et Mirage 2000) et de l’achat de quatre Boeing E-3F Awacs (ravitaillables
en mode « rigide ») requiert une disponibilité croissante des C135FR.
Pour y faire face, en décembre 1992, trois KC135R sont loués à l’USAF.
Rendus en juillet 1994 ils sont remplacés par deux autres en septembre
1994.
Allant plus loin, et s’inspirant du système Britannique
d’adjonction des nacelles de ravitaillement externes, munies d’un tuyau
souple, placées sous les ailes pour accroître la capacité de transfert
du C135FR, l’Armée de l’air passe à cette époque un contrat avec la
firme Anglaise Flight Refuelling pour la fourniture de nacelles
semblables à celles montées sur les ravitailleurs VC10.
En mai 1993, un premier C135FR retourne à Wichita pour
y subir un chantier d’intégration des dites nacelles, ainsi que la
modification du circuit carburant et l’installation de nouvelles pompes
d’un débit supérieur. Fin 1993, l’avion rentre en France après avoir
subi des vols d’essais très poussés. Ce nouveau système s’avère
efficace. Je me souviens d’ailleurs, avoir livré 32 tonnes de carburant
en 28 minutes à des appareils de l’US Navy (6 F18, 2 EA6 et 2 F14) lors
d’un détachement en Arabie Saoudite. D’autres programmes d’importance
moindre sont toujours en cours ; les C135 ne cesseront d’évoluer tout au
long de leur vie….
J’aurais aimé vous parler plus succinctement du C135,
mais il y a tant à raconter sur cet avion au bout de bientôt 21 ans de
vie commune : 8 années comme mécanicien pistard et 13 ans en tant que «
boomer » ; 5.500h de vol bouclées avec ce bon et solide copain de ma
génération. Ton remplaçant s’annonce. Il n’est pas encore là. Mais il
lui faudra, dans tous les cas d’énormes qualités pour te détrôner. D’ici
là bon vent mon pote !
A/C Paul LAINE – ERV 00.093 « Bretagne ». 1996 .
Extrait du livre d’Alexandre Paringaux «
Forces Aériennes Stratégiques »
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