N°32 - Juillet 2004

L’équipe de rédaction : C.Auzépy christian.auzepy@wanadoo.fr
Site anfas : http://anfas.free.fr

 

Le mot du Président

      Terrain de HAO : 19 juillet 1966, 04 H 35 locale, décollage du Mirage IV A N°9, équipage Cdt DUBROCA et Cne CAUBERT ; à 05 H 15, largage, explosion: mission TAMOURE réussie.
      Lorsque j’écris ces 2 lignes qui rappellent une date importante de notre Armée de l’Air et plus encore de la crédibilité de la dissuasion française, nous sommes très exactement le 19 juillet 2004, soit 38 ans plus tard. Et c’est un de nos anciens , Jean-Marc LIOTARD, présent à HAO pour cette opération, qui me le souffle. Il avait accompagné le 9, démonté, mis en cale dans un bâtiment de la Marine Nationale. Et il l’avait remonté sur place, bon pour le service.
38 ans plus tard, il garde encore une certaine nostalgie de sa croisière sur le navire de nos collègues marins.

      Vous êtes très nombreux à avoir répondu positivement pour les 2 jours du 40ème anniversaire. Je n’ose pas annoncer de chiffre. Mais j’ai bien l’impression que nous allons refaire l’histoire des FAS en 48 heures, tellement nous aurons de « toi ici…, tu te souviens…, tu te rappelles… » autour de nous. Est-ce que nos épouses vont tenir le coup, ou bien vont-elles en rajouter ? A suivre…
      Deux « consignes » à faire passer entre nous :
- A l’issue de la messe-souvenir ( 16 H ), le général MATHE, Cdt les FAS, inaugurera la stèle MIRAGE IV de la BA 106 ( 17 H ). L’emplacement de la cérémonie, réservé à l’ANFAS, ne peut contenir que 50 personnes et donc pas l’ensemble des présents. Ne voulant pas faire de tri parmi nous, je vous demande très expressément d’avoir la gentillesse d’accepter que, seuls, les membres du conseil d’administration de l’ANFAS y participent. Si les familles de nos copains, morts en SAC, sont présentes, je les inviterai en votre nom. La durée de la cérémonie est de 30 minutes. Nous vous attendrons près de la stèle à l’issue.
- Parmi les anciens FAS, quelques-uns ont reçu une invitation-laisser-passer uniquement pour la cérémonie militaire du 18 après-midi. S’ils souhaitent, malgré tout, assister à la messe et participer à l’assemblée générale de l’ANFAS qui aura lieu – je vous le rappelle à 08 H 15 précises le 18 septenbre– qu’ils me téléphonent ( 0 298 875 794). J’intercéderai pour ces cas isolés


Une nuit de MAI 1940

      Le vendredi 17 mai 1940, à 21H30 un bombardier au ronronnement sourd quitte, tous feux éteints, le terrain de base du Groupe 2/34. Face au vent sud-ouest, le bimoteur s’enfonce dans la nuit..
      L’avion est un monoplan à aile basse. Il porte deux gouvernails largement écartés. C’est un Amiot 350, soigneusement camouflés par les mécaniciens du Groupement 9, à la lisière du champ d’atterrissage de Nangis. Récemment arrivés au Groupe ces appareils sont destinés à remplacer les vieux Amiot 143 d’un modèle périmé. Périmés les Amiot 143 ?
      Mais oui, avec leur ventre saillant, il font péniblement 200 Kmh, c’est à dire 345 Kmh de moins que les chasseurs allemands !
      C’est la deuxième fois seulement que l’un des Amiot 350 du G.R.2/34 effectue une mission de guerre. Car ces nouveaux avions, livrés aux escadrilles du front, un par un, vaille que vaille, sont inachevés. Malgré leur poids respectable de huit tonnes, ils n’ont pas d’armement. Le dispositif de refroidissement de leurs moteurs fonctionnent mal.
      Par un geste de crânerie élégante, l’insigne du 2/34 (la fameuse « tête de Gaulois », s’il vous plait) vient d’être reproduit, au pochoir comme il se doit, sur les flancs du 350. Le Gaulois fronce les sourcils pour bien se donner tournure de guerrier. En outre, au grand dam de tous les professeurs d’histoire, l’ancêtre porte crinière mérovingienne : sans doute pour inciter au péché d’envie les petits camarades du 1/34 dont les « taxis » arborent l’image d’un « parlementaire poursuivant son chapeau ».
      Ma foi, avec son fier emblème fraîchement peint de couleurs vives, cet Amiot, inapte au combat, vous prend un air imposant d’avion d’armes : de quoi damer le pion à tous les bombardiers !
      Dans la carlingue de l’appareil qui décolle ainsi plein moteur, quatre aviateurs casqués de cuir, en vêtements de vol, ont pris place : quatre hommes habitués au risque en commun dans cette attente muette qui fait un équipage.
Dans la cabine du navigateur, sous la coupole vitrée, le responsable de l’expédition, le LCL DAGNAUX, chef de bord. Rien ne gêne sa vue vers l’avant. Ensuite, sur le siège élevé du pilote, le LLT FREMONT qui, d’une poigne robuste, tient les gouvernes de l’appareil. Près du poste de T.S.F., le radiotélégraphiste REGNAULT. Enfin, les yeux vigilants aux commandes d’armement, bien calé contre la tourelle de deux mitrailleuses jumelées, montées à la hâte, l’adjudant LAVOLLEY.


      Le temps est très clair, la visibilité excellente. Le regard porte presque aussi loin qu’en plein jour. Du sol, il suffit aux mécaniciens de lever les yeux pour apercevoir d’autres avions français, qui se détachant sous le plafond haut, croisent au-dessus de 2000 mètres. Dans ce ciel de guerre, aucun appareil à croix gammée n’est en vue. La soirée est tiède. De petits coups de brise agitent, par intervalles, la manche à air. A l’horizon tremblent quelques étoiles.
En moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, l’Amiot 35O roule sur l’herbe haute, fait son palier, franchit la ligne d’arbres qui borde le terrain et se lance dans le noir, dans l’aventure.
      L’avion gagne de l’altitude. Le champ d’atterrissage n’est plus qu’une tache bleuâtre. La vallée de l’Yvron est noyée dans la nuit. La masse sombre et silencieuse du château de Philippe le Bel domine seule le bourg de Nangis.
     Dans une lueur glauque, on devine, plus au sud, l’étang et la rivière paresseuse de la Chapelle-Gauthier. Pas de franches couleurs. Courbés sous la défense passive, bourgs et villages se perdent dans la grisaille.
Le lieutenant Frémond relève le train d’atterrissage escamotable, en actionnant la commande hydraulique : les roues glissent vers l’arrière dans les fuseaux moteurs au nez arrondi. Puis, le pilote place les hélices tripales au grand pas. Enfin, après un rapide virage à droite, Frémond réduit les gaz, met l’appareil au régime de croisière et oblique vers le nord-est, pour couper la boucle de la Marne. Quelques fumées, lentes et paisibles, traînent dans la cuvette du Grand Morin.
La mission ? L’avion emporte une tonne de projectiles pour bombarder les colonnes d’engins blindés sur les grandes voies de communication : il s’agit d’endiguer la poussée allemande vers Sedan et la région nord de la France.
Le temps passe.…L’équipage , qui tient l’air depuis plus de trois heures, exécute sa mission point par point. Puis il rejoint l’Oise. La rivière a des reflets de vieil argent et paraît immobile. A la verticale , encadrée par la plaine fauve, une masse sombre aux formes accusées : la forêt de Nouvion défile sous l’Amiot.
       Ca et là, dans l’étendue noire, quelques taches claires, des falaises de craie, surgissent sous les ailes de l’avion ou s’éclipsent au rythme changeant du vol.
A travers les panneaux de plexiglass, la vue porte loin. Les contours du sol, les champs, les jardins, les près, se découpent nettement.

      De faibles ondulations se suivent, uniformes : les crêtes de Saint Michel. Deux lignes blanchâtres tranchent sur le noir de la nuit : les routes de Maubeuge et de Valenciennes. Sous une brume légère, un long trait s’étend rectiligne : le canal de la Sambre à l’Oise.
      A l’arrière-front une dizaine de halos : des villages en feux.
Enfin, très loin, un saillant de dimensions modeste mais de nom illustre : la montagne de Reims.
      Un par un, le Colonel repère les alignements, reconnaît les traits essentiels du paysage. D’un geste assuré et précis, Dagnaux porte les points sur la carte et mesure la dérive.
      L’Amiot est un peu secoué ; le pilote corrige doucement, au manche, en maintenant le cap. Puis il agit sur le volet de commande du plan fixe, car l’avion « pousse un peu dans la main ».
      Dans la tourelle, le mitrailleur veille.
Au poste radio, le poignet de Regnault appuie en cadence sur le manipulateur.
Pour scruter davantage la région survolée, où se trouvent, à n’en pas douter, des rassemblements de blindés allemands, le Colonel s’agenouille contre le plancher vitré de la carlingue. Mais il ne distingue aucun véhicule : l’avion vole trop haut.
      Après un coup d’œil à l’altimètre, Dagnaux donne l’ordre au pilote de descendre plus près du sol ; Frémond enlève ses gants fourrés, réduit les gaz, imprime avec aisance au gouvernail de profondeur une poussée légère. Dociles, les moteurs se mettent au ralenti ; l’avion s’incline en vol légèrement piqué. Battant l’air, à coups rapides d’hélice, l’Amiot, en tanguant doucement, se rapproche de la terre.
      Les choses se passent normalement, presque facilement. L’appareil maintenant est au-dessus d’un rectangle gris : les faubourgs de Guise et de Flavigny. A ce moment, la brise tourne….L’avion est dans le lit du vent.
Frémond touche un contact. Sur la planche de bord, une lampe rouge s’allume entre les cadrans phosphorescents et jette dans la carlingue une lueur de veilleuse. L’aiguille de l’altimètre oscille sur l’altitude de 500 mètres. Le compte-tours droit donne 1.800 t/m ; le gauche 1.850. La montre marque minuit cinq.
Dans la lumière avare d’une pile électrique de poche qui diffuse une clarté jaune pâle, on aperçoit, sortant à moitié de l’ombre, le visage de Regnault penché avec application sur le poste radio. Le fil d’antenne tremble faiblement sous les vibrations des moteurs….                           A suivre…

LCL Pierre PAQUIER
Avec l’aimable autorisation de Bernard PAQUIER