N°18 - Juin 2002

L’équipe de rédaction : C.Auzépy    -    Thor   -   11 r. Chanez  -  75781 PARIS 16° - c.auzepy@thor.fr
ANFAS-BRP/FAS-BA 921-95155 TAVERNY.


Suite de la narration du Gal Lecoz 
présentée dans le n°17……


     Les neufs équipages stagiaires américains étaient tous capitaine, en provenance de B 47 devenus obsolètes, dont ils nous rebattaient les oreilles à propos de leur participation aux alertes renforcées et aux mesures d’intimidation déployées lors de la crise de Cuba encore toute récente. Ils avaient autour de 2 500 heures de vol et avaient, quant aux pilotes, effectué quelques vols sur F102 pour s’habituer à l’aile delta. Pour ma part, j’avais dépassé les 3000 heures et été lâché sur Mirage III B et C. Comme, socialement, ils se situaient, selon leur expression, dans le « low level middle class », je n’avais donc aucun complexe à nourrir à leur endroit.
     Les cours, du moins en été, s’échelonnaient de 6 heures du matin à midi et de 13 heures à 15 ou 16 heures selon les jours. Ils étaient séparés par spécialité ( pilote, navigateur, CME). A notre grand étonnement, la documentation ouverte, plus exactement diffusion restreinte, qui nous fut remise à notre arrivée ( le Dash-one, ainsi appelé parce que la nomenclature des différents manuels d’emploi des appareils de l’USAF se termine par – 1 ) répondait pour une large part aux questions que nous nous posions avant notre départ. 
     Ainsi, pour le ravitaillement en vol, les contacts radio préalables par rapport au point de rendez-vous, la distance de séparation entre appareils pour déclencher le « virage relatif » du ravitailleur, la vitesse de ravitaillement ( 325 kt) – ( le Mirage IV adoptera une vitesse en RVT de 310 kt. En effet, le B 58 utilisait le système Flying boom – le ravitaillé en femelle – par opposition au Mirage IV où le ravitaillé est mâle. 
     Cette vitesse plus faible améliorait la stabilité de l’entonnoir du C135.) la procédure en hippodrome, toutes ces manœuvres figuraient in extenso dans le manuel B 58.

     Les cours étaient agrémentés de nombreuses diapositives en couleurs qui me valurent, le premier jour, une drôle de surprise. L’instructeur égrenait normalement ses clichés accompagnés des explications nécessaires lorsqu’à la dixième vue apparut une Pin up, en tenue d’Eve, installée à califourchon sur une chaise. En un dixième de seconde, je réalise que mes camarades stagiaires m’ont fait le coup et que le moniteur va tout de suite soupçonner le French man d’être coupable de cette facétie plus ou moins gauloise. Mais non, pas ou peu de réactions, si ce n’est 

 

quelques considérations géométriques. Après dix secondes d’arrêt, on passe à la diapo suivante jusqu’à la vingtième où une autre Pin up, dans un autre décor et une autre posture, mais toujours dans le même costume, se profile sur l’écran. Même chose à la trentième. J’en déduisis qu’un « Psy » du SAC ou de l’USAF n’avait rien trouvé de mieux que cet artifice pour tenir régulièrement en éveil les neurones d’un auditoire. Je notai, par la suite, que tous les instructeurs faisaient appel à cette solution de continuité jusqu’au grade de commandant inclus.

     La conférence de l’officier de sécurité des vols fut particulièrement intéressante. En mai 1963, 17 B 58 avaient été perdus ( dont deux au salon du Bourget ) et la plupart de ces pertes s’étaient produites au décollage et à l’atterrissage. Comme tous les mouvements d’avion étaient systématiquement filmés depuis la tour de contrôle ( l’enregistrement visuel des décollages et atterrissages fut mis en service sur certaines de nos bases aériennes. J’ignore s’il a été généralisé et s’il perdure.), cette mesure avait beaucoup facilité et accéléré les recherches des causes et des origines des différents accidents.
Ainsi, au cours d’un décollage de jour, tout se déroule normalement lorsque, en pleine accélération, le B 58 embarque sur la gauche et quitte la piste ; trois capsules s’éjectent, les trois parachutes ne s’ouvrent pas, l’appareil et l’équipage plongent dans le lac. En projection normale, il est difficile de comprendre ce qui a pu se passer : défaillance du pilote ? panne réacteur ? alors que le ralenti permet de distinguer clairement, à mi-course du décollage, un pneu du train principal gauche qui éclate, qui fait éclater le pneu voisin et ainsi de suite pour l’ensemble des huit pneus du bogie, provoquant la sortie de piste et une vitesse insuffisante pour une éjection réussie.

     Au cours du stage, l’occasion me fut donnée de visiter la salle de préparation des vols d’un escadron. Je fus surpris par le coté spartiate des installations : une baraque en bois d’un étage à la climatisation d’une efficacité relative.
J’y appris que les équipages effectuaient, en moyenne, 20 heures de vol/mois réparties en 4 missions, que toutes les missions étaient répétées au préalable intégralement sur simulateur ultra-perfectionné, allant jusqu’à une reproduction très poussée d’éléments extérieurs tels les orages et les turbulences. Il y en avait deux en place et il fallait que les équipes de maintenance fassent en sorte qu’il y en ait toujours un disponible. Il était tout à fait normal pour un équipage de commencer sa séance d’entraînement à minuit ou deux heures du matin 



car il n’y avait pas d’interruption dans l’activité de la section simulateur.
Vers la fin du stage, il m’arriva une histoire abracadabrante dont je me serais bien passé. 
     Cet après-midi là, l’emploi du temps programmait, à l’intérieur de la « restricted area », une accoutumance au poste de pilotage du B 58, fidèlement reconstitué dans une maquette à l’échelle 1/1. Après briefing du moniteur, chacun devait à tour de rôle rester un quart d’heure dans la cabine pour familiarisation à sa convenance. Étant inscrit le dernier sur la liste, je montai dans la cabine le dernier et sortis le dernier. En passant seul et sans accompagnateur le grillage délimitant la zone réservée, je fus interpellé par deux jeunes gens en civil qui me demandèrent de bien vouloir attendre un moment. Ce que je fis. L’un s’éclipsa, l’autre me tint compagnie. Quelques instants plus tard, je vis débouler sur un camion, toutes sirènes hurlantes, 8 MP armés jusqu’aux dents qui rapidement, m’encerclèrent criant : « let down your bag » « hands up ». Puis ce fut la fouille et l’embarquement vers une salle de permanence du PC protection. Commença alors le premier interrogatoire : Qu’est-ce que je faisais là ? Quelle était ma nationalité ? etc. J’eus beau présenter l’emploi du temps officiel de mon groupe avec le local correspondant et mon laissez-passer signé de l’officier de sécurité ( il s’appelait Niquette), rien n’y fit. Allez donc faire lire un emploi du temps à un MP ! Indiquant que j’étais Français, le sous- officier de service me dit qu’il connaissait bien la France et qu’il avait été affecté plusieurs années à « ??? ». Je ne compris pas. Il répéta. Même incompréhension de ma part. Intrigué, il fit appel pour plus de sûreté à « l’investigation officer » qui, constatant que je connaissais pas « ??? » en France, voulut me faire dire que j’étais Polonais. Je n’appréciai guère la situation qui durait depuis plus d’une heure et je finis par demander à mon « tortionnaire » de transcrire le nom du lieu en question sur papier. Je vis apparaître, à une ou deux fautes d’orthographe près, le mot de Châteauroux. Châteauroux prononcé par un américain avec un fort accent texan, croyez-moi, n’est pas facile à saisir. L’histoire se termina tardivement par l’intervention du moniteur de l’après-midi, appelé à la rescousse par mes soins.

     Le stage était jalonné par de nombreux tests devant lesquels il fallait faire bonne figure lors des résultats ne serait-ce que pour l’honneur de la cocarde. Le plus pénible fut le test des manœuvres de secours qu’il fallait restituer intégralement et par cœur, quitte, pour ce qui me concerne, à les oublier dès le lendemain.
     Mais ce qui m’est resté de cette expérience au sein du Strategic Air Command, c’est l’esprit de rigueur manifesté par l’ensemble du personnel dans l’application des procédures. C’est aussi le côté « terre à terre », si j’ose dire, de la conduite de l’instruction ; pas un équipement, pas un matériel, pas un système présenté sans que soit annoncé immédiatement son prix, qu’il s’agisse de réacteur, de radar, de pneu, de parachute de freinage, etc…Un bon procédé pour mieux responsabiliser chacun dans son travail de tous les 

jours, en faisant prendre conscience de la valeur, souvent très importante, des matériels en service.
     La veille de mon départ, je fis savoir à mes camarades pilotes que je m’en retournai le lendemain vers la civilisation. Il fut décidé que nous déjeunerions à l’extérieur et nous nous retrouvâmes dans un troquet de bonne facture pour ce dernier repas en commun. Voulant les remercier de la sympathie qu’ils m’avaient témoignée pendant ces deux mois, j’eus l’idée de leur faire goutter à table un bon vin français. Je commandai donc deux bouteilles de Saint-Emilion ( entre nous, deux bonnes bouteilles de St-Emilion, une fois rendues dans un restaurant au fin fond du Texas, ne sont pas données). Après une certaine attente, je vis arriver mes deux bouteilles, oh stupeur !, bien frappées dans deux seaux à champagne remplis de glaçons. Un sauvage avait tout gâché.

     Le lendemain il faisait très chaud à Forth-Worth, 108° F soit 42°C. Pour le voyage retour nous avions revêtu en conséquence chemisette et pantalon de toile légère. Après avoir revendu notre voiture 200 $, le taxi qui nous amena à Dallas était vraiment bien climatisé. Nous en fumes quittes pour une angine.
Le 13 juillet au matin, à Washington, nous repassâmes à la chancellerie pour prendre congé de l’adjoint AIR. Deux chambres confortables nous avaient été retenues dans un hôtel situé presque en face de l’ambassade de France. Le soir, en cette veille du 14 juillet, nous assistâmes à un carrousel incessant de limousines et de voitures luxueuses, toutes plus longues les unes que les autres, transportant une foule d’invités en smoking et robes du soir qui se pressaient à cette foire aux vanités ( la foire aux vanités de Thackeray—A lire pour le plaisir)

     De retour à Mont-de-Marsan, le commandant de la division avions nous fit savoir qu’il était de tradition après un stage à l’étranger de fournir un rapport circonstancié pour alimenter la bibliothèque du CEAM. Il s’en suivit un «patafar» assez épais dont je ne suis pas sûr qu’il ait un jour trouvé lecteur mais qui eut pour effet immédiat de retarder notre départ en permission.

Général Yvon LE COZ


Un autre site

b58.jpg (55817 octets)

http://www.xs4all.nl/~mvburen/b-58/